LE CONTEXTE DE L'ÉPISTOLE
1. Mort de Charles X (6 novembre 1836). Il meurt du choléra. Sa mort pose le problème de la notification du décès, qui ne se fait qu’aux seuls souverains. Charles X ayant abdiqué pour son petit-fils le duc de Bordeaux (Henri V), également en exil, Louis-Philippe ne peut être reconnu comme souverain. Charles X ayant été exilé par Louis-Philippe, impossible de porter un deuil officiel. On opte donc pour un deuil privé. Ni le roi ni sa famille ne portent le deuil. Il est même interdit aux ambassadeurs étrangers de porter le deuil aux Tuileries.
Source : Guy Antonetti, Louis-Philippe, Fayard 2002.
Voilà la raison pour laquelle le curé du village a dû se cacher pour dire un requiem.
2. Venue de Charles X à Cambrai le 4 septembre 1827. Cette visite s’inscrit dans le cadre d’une tournée
dans la région du Nord. Une médaille commémorative sera gravée à cette occasion.
3. Déroute de Constantine (Algérie). Le 18 Novembre 1836, au col de Râs-el-Akba, l'armée française subit des conditions climatiques difficiles (pluie, neige et grêle en abondance). Le siège, mené du 21 au 24 novembre, aboutit à la retraite de l'armée française. La seconde expédition, le 1er octobre 1837, verra la prise de Constantine en 7 jours.
4. Attentat Meunier. Le 27 décembre 1836, alors que Louis-Philippe, accompagné du duc d’Orléans, du duc de Nemours et du prince de Joinville, se rend au Palais-Bourbon pour l’ouverture de la session parlementaire, une balle effleure sa poitrine et brise une glace de la voiture dont les éclats entaillent légèrement les visages des princes.
L’auteur de l’attentat est un jeune exalté de 22 ans, Meunier. Condamné à mort, il se repent. Louis-Philippe accorde sa grâce et commue la peine capitale en exil aux États-Unis. Il va jusqu’à faire remettre un petit pécule à Meunier. La magnanimité du roi est naturellement largement mise en scène par la propagande officielle.
5. La forêt de Bondi : La forêt de Bondy avait une très mauvaise réputation, liée notamment à la présence légendaire de nombreux brigands. Childéric II (petit-fils de Dagobert), roi d'Austrasie, y aurait été assassiné en 675. Les légendes qui l'entouraient ont inspiré Victor Hugo qui y situe la ferme des Thénardier à Montfermeil dans Les Misérables. Cette forêt de Bondy appartenait à Louis-Philippe.
Sources notes 3, 4, 5 : Wikipédia.
ÉPISTOLE 9
9e épistole.
L’ 8 du mos d’Jainvier 1837.
À ch’féseu d’Gazette, rue Saint-Jeain, à Kaimbré.
Misière et copagnie ! Main cœur il est copé ain quate, no maîte ; v’là chou ki fait que j’nai mi pus les forches d’vos brouser[1] d’z’épistoles. D’maindez-mi ain po, main pove garchon, queuqu’ch’é qu’chés brave’é geains ki-z-ont fait à ch’bon Diu, pou leu-z-ainveïer ainsain s’malédiction !
V’là ch’pove ro Charles X kil est défuncté[2], qu’no curé kil li a fallu s’mucher pou li dire ain requiem[3] ! J’l’avos si quierre qu’main père, ch’pove ro, et je m’ramenteuvrai toudi, quaind kil a v’nu à Kaimbré, d’li avoir assaqué[4] l’bout de s’baiète[5], ain houpaint[6] : vive l’ro et sain fieu[7] ! et ki m’a répondu ain m’erluquaint[8] : merchi min brave homme !
[1] Brouser : écrire. Littéralement : noircir.
[2] Défuncter : décéder. (Hécart).
[3] Voir Eléments Contextuels.
[4] Assaquer : Même définition que saquer, c’est-à dire tirer. (Vermesse).
[5] Baiette : veste.
[6] Houper : crier.
[7] Louis-Antoine (Louis de France : 1775-1844)
[8] Reluquer : aussi relouquer : regarder en clignant la tête et en fermant lègèrement les yeux. (Hécart).
- Voyage du Roi au camp de Saint-Omer et dans les départemens du nord. Septembre 1827 (Extrait du Moniteur).
P., Imprimerie Royale, 1827. 237 pages. "Parti de Saint-Cloud le 3 septembre 1827, Charles X effectua un grand périple dans la France du nord jusqu'au 19 Septembre (Soisson, Laon,
Saint-Quentin, Cambrai, Valenciennes, Douai, Lille, Saint-Omer, Dunkerque, Arras, Amiens et Beauvais, au retour.)
Fonds Ancien, Médiathèque d'Agglomération du Cambrésis.
D’puis kil a trépassé, chés malheurs i pleuvent à daques [1] d’zu no tiète, qu’ch’é ain sort : tertous chés rios [2] i s’sont dévalés arrière d’leus rives ; et no villache ain aro dit tourade [3] l’arche eud’Noé au mitain de ch’déluche [4]. Paindinsse qu’nos étotes niés [5] dains no païs, nos soudars [6] i-z-étotent aingelés [7] ain Afrique [8] ; et j’viens d’vétier d’zu vos feuille kain avo assaïé aincore ain co à assaziner Louis-Flippe [9]. Ch’é-t-i point aine désolation ! no païs i resane [10] à chel forêt d’Bondi [11], d’puis chel possédée d’révolution d’Julète.
Malhureusemaint, ignia des geains qu’cha n’acoute mi jamais ni à hu ni à dia ; cha vos épourre [12] si qu’vos volez leu faire ain préchemain [13] pou leu bien, et quain après que ch’ma [14] ki réket [15], i vêtent [16] leu bouque ouverte. V’là ch’cousin Flippe, si vos vos ramainteuvez [17], quaind qu’jai volu le r’bouter [18] d’zu l’dro quemin, n’ma-ti point escou [19] comme ain kien dain ain giu d’quilles ? – Cha n’aimpêche point : l’jour del nouvielle année, no faimme alle a dit : ch’Fissiau, i vo foro aller défuler [20] vo coplimaint à ch’cousin Flippe. – J’y vas ! que j’dis à chel Grainde Paque : ch’é bon ! ain débuquaint [21] v’là que j’rainconte ch’cousin kil avo l’air fameusemaint [22] ainforché [23]. – Dou qu’ch’é qu’vos queurez ainsain, ch’cousin, que j’li houpe. – Ah ! ch’cousin, ki m’dit, ain braïant [24] des larmes comme des pos, et ain tranaint les fieffes [25] ; « j’sus réu [26] : mes varlets [27] i cachent [28] par nuit à m’étraner [29] pu m’esbiner [30] m’bourse ; et j’queurre [31] alleumer aine kaindelle à Saint-Agrappart [32] pou ki m’rassaque [33] d’leus griffes. – Ch’é point cha, ch’cousin que j’li r’moute : Saint-Agrappart i n’a mi cure d’vo kaindelle ; ch’é chou qu’vos avez agrippé à vo prouchain ki vo qu’mainde d’li rainde comme ain brave. Pou lors, vos varlets i vos lairont trainquille, Saint-Agrappart i vos baillera [34] s’bénédiction, et chés brave’é geains i diront d’vos comme l’bon Diu : à tout péchié miséricorde. Ch’é l’bon ain que j’vos sohaite !
– Ch’cousin Flippe i n’a mi répondu graind kose : mais à chou qu’j’ai vétié, i a aine puche kalle li dégratte fameusemaint s’n’oreille. Chou kalli li f’ra faire, j’vos l’écrirai, no maîte. Ain attaindaint, j’vos sohaite à vous, à mi et à tertous, pou l’ain mil huit chaint trainte siette, chou que j’postule [35] à vo patron ain drière [36] d’chés racusettes [37].
[1] A daques : Il en quet à dic et à dac : il pleut à verse. Par onomatopée que fait une forte pluie en tombant. (Hécart). Daquoire : Pluie bruyante, abondante. (Vermesse.)
[2] Rio : ruisseau.
[3] Tourate : tout de suite. (Énée-Aimé Escallier)
[4] L’ouragan du 29 décembre 1836. (Henri Carion)
[5] Niés : noyés. (A. Dawson)
[6] Soudars : soldats.
[7] Aingélés : gelés.
[8] Déroute de Constantine. (Henri Carion)
[9] Attentat Meunier. (Henri Carion)
[10] Resaner : ressembler.
[11] La forêt de Bondi : La forêt régionale de Bondy est un vestige de l'ancienne forêt de Bondy qui s'étendait sur une part importante du pays d'Aulnoye, et avait une très mauvaise réputation, liée notamment à la présence légendaire de nombreux brigands. Childéric II (petit-fils de Dagobert), roi d'Austrasie, y aurait été assassiné en 675. Les légendes qui l'entouraient ont inspiré Victor Hugo qui y situe la ferme des Thénardiers à Montfermeil dans Les Misérables. (Wikipedia)
[12] Epourer : 1. épousseter. 2. Insulter, effrayer. (Corblet).
[13] Préchemain : sermon.
[14] Ch’ma : le mal. Ici, le « mauvais », la méchanceté.
[15] Rekéir : retomber.
[16] Vettier : regarder.
[17] Se ramainteuver : se rappeler.
[18] R’bouter : replacer, remettre.
[19] Escous : Adj. Secoué. I(Legrand).
[20] Défuler (se) : se décoiffer. Défuler sin capiau : saluer. Défuler sin coplimaint : présenter ses hommages.
[21] Débuquer : s’enfuir, aller vite. (Hécart) Ici : sortir.
[22] Fameusemaint : beaucoup, excessivement. (Vermesse).
[23] Ainforché : enfourché. Fort occupé, déterminé…
[24] Braire : pleurant.
[25] Traner les fièffes : trembler les fièvres. En fait, ici, trembler d’émotion, de peur.
[26] Réu : (être) : ne savoir que faire, être dans l’embarras. (Hécart).
[27] Varlet : valet de ferme.
[28] Cacher : chercher.
[29] Etraner : étrangler.
[30] Esbiner : dérober.
[31] Queurir : courir.
[32] Saint-Agrappart est un saint du Cambrésis, honoré jadis près de l’abbaye de Vaucelles et à qui on attribuait le pouvoir de délivrer les enfants de la coqueluche, et de préserver les pèlerins des voleurs. (Henri Carion)
[33] Rassaquer : retirer.
[34] Bailler : donner
[35] Postuler : souhaiter (Dictionnaire historique de la langue Française).
[36] Ain drière : en derrière. Ici : derrière leur dos.
[37] Racusète : substantif féminin. Celui qui dénonce ce que les autres ont dit.